Depuis l’année 2021, la pièce d’une gourde est refusée, ignorée ou acceptée contre gré
surtout dans le secteur informel Haïtien.
Quelles en sont les causes ? Cette tendance peut-elle affecter l’économie? Quelles sont les
potentielles conséquences?
ÉCO-DETAY, pour répondre à sa mission, est parti se renseigner, enquêter et interroger
afin de vous apporter plus de lumière et de compréhension.
La monnaie en économie désigne tous les moyens de paiement existant; c’est un bien qui permet de se procurer d’autres biens ou services. Ainsi, on distingue la monnaie fiduciaire, scripturale, électronique ayant comme fonctions principales: intermédiaire d’échange, réserve de valeur et d’unité de compte. Selon le livre Monnaie, Banque et Société[1] “l’existence de la monnaie suppose qu’elle soit toujours et partout acceptée par tous”. Toutefois, depuis quelques mois un nouvel comportement est adopté envers la petite coupure d’une gourde. Bon nombre de personnes se rétractent quand il s’agit de l’utiliser dans leurs transactions. Ce comportement touche non seulement les fonctions intrinsèques de la monnaie, mais également aux critères attribués à un bien pour être considéré comme monnaie.
Sachant que ce sont les comportements des agents économiques qui définissent une monnaie, il est important de questionner le statut de la pièce d’une gourde en tant que monnaie nationale. De ce fait, peut-on encore considérer ces petites coupures comme monnaie? Quelles sont les causes de l’acceptabilité limitée de cette pièce?
Origine des pièces métalliques
Les premières pièces haïtiennes, pièces de 100 centimes, apparurent avec Henry[2] Christophe 1807 pour disparaître deux ans plus tard, en 1809. Ces dernières, à cette époque, portèrent le nom de livres haïtiennes .Ce n’est que plus tard, en 1813, sous Alexandre Pétion que l’on adopta la gourde comme monnaie officielle. Ensuite, sous la présidence de Jean-Pierre Boyer, avec la loi du 16 avril 1827, les premiers papiers billets firent leur première apparition avec des valeurs respectives d’une, deux, trois, quatre, huit, dix , de seize ou encore de vingtcinq gourdes. Plus tard, sous la présidence de Salnave, plus précisément en 1873, avec la cherté de la vie et la perte de valeur de la gourde par rapport aux autres devises étrangères , ces papiers billets disparurent, En 1995, la Banque de la République d’Haïti prit la décision de remplacer les billets d’une et de deux gourdes de l’époque par les pièces d’une gourde et de cinq gourdes.
Ces pièces de monnaie, appelées monnaie divisionnaire dans le langage expert, jouent le rôle de point de change dans l’économie. De leur rôle d’appoint, elles permettent la divisibilité des papiers monnaie (Monnaie Fiduciaire). Elles rendent juste les calculs et facilitent les échanges au niveau des petites, tout comme les grandes transactions.
Les résultats ci-dessus, résultats d’une enquête menée dans la zone métropolitaine,
reflètent les causes qui ont généré ce phénomène selon la population.
En effet, 33% de la population étudiée, affirment qu’ils n’utilisaient pas cette pièce en fonction
du comportement des agents économiques proches tandis que d’autres, soit un pourcentage de
14% indique que cette pièce n’est plus valide. Mais qu’en est-il réellement?
Le secteur informel par son manque de régularisation est source d’inflation en lui-même, à cela s’ajoute l’inflation effrénée que connaît la société Haïtienne.
Micro-étude: Eco-Detay
L’inflation par sa plus simple définition est la hausse généralisée des prix. Elle est telle que d’après l’avis de certains économistes Haïtiens on ne peut se procurer aucun bien ou service au prix d’une gourde. Alors que partout ailleurs dominé par une économie forte, il est possible de se procurer des biens et
services avec les petites coupures. Comme expliqué tantôt, ces pièces ont toute leur place dans
les transactions et dans l’ajustement des calculs. Ainsi, le manque de sensibilisation des
autorités concernées par rapport à leur importance peut être une cause justifiant un tel
phénomène.
Cette tendance de refuser d’utiliser la pièce d’une gourde a aussi des répercussions d’ordre
socio-économique assez significatives.
Conséquences de ce phénomène
- Gaspillage de ressources pour la banque centrale.
L’impact économique lié au seigneuriage peut être considéré comme conséquence d’un tel phénomène. Le seigneuriage dans sa définition la plus simple désigne l’action ou la banque centrale fait tourner la planche à billets. Ces différentes coupures fabriquées à l’étranger ont un coût, qui, parfois dépasse la valeur nominale de ces derniers. Ainsi, pour chaque émission d’une pièce d’une gourde la BRH dépense environ trois (3) gourdes[3], et ce prix peut varier suivant le taux de change de l’époque.
Notre étude nous a révélé que la plupart des gens, face à cette situation économique s’adonnent soit à une thésaurisation forcée de la pièce métallique d’une gourde ou tout simplement au rejet catégorique de cette dernière. Or, rejeter cette pièce revient à gaspiller les ressources utilisées par la Banque Centrale pour la fabrication de ces monnaies.
- Source de conflits
La monnaie dans toute économie est caractérisée par la confiance dont elle jouit de la part des agents économiques. D’après Sophia Brana4] “Chacun doit pouvoir utiliser la monnaie sachant que les autres l’utiliseront de la même manière”. Lorsque cela ne se produit pas il devient source de dispute entre les différents agents économiques. Ainsi, notre étude a révélé qu’au niveau de la région métropolitaine, 75% des personnes sont facilement irritables quand
la pièce métallique d’une gourde leur est offerte, 6% frôlent l’énervement alors que 19% sont plus tolérantes par rapport à cela.
- Augmentation des prix relatifs de certains produits
Le refus de la pièce fait augmenter le prix des biens et services. Par exemple, un bien qui se vendait auparavant à 3 ou 4 gourdes subit une majoration et passe à 5 gourdes à cause de ce phénomène. Ces surplus sont directement transférés aux producteurs/ commerçants. Cette hausse de l’avoir monétaire de ces derniers, sans contrepartie, crée une hausse des prix de certains produits dans l’économie.
- Contraction des activités économiques au niveau du secteur informel.
Les commerçants se plaignent de l’effet de ce phénomène sur leur chiffre de vente. Comme le témoigne notre micro-étude, 91% des acteurs questionnés affirment qu’ils écouleraient beaucoup plus de biens et services avec l’acceptation de cette pièce par tous. Cette situation, selon les dires de nos enquêté(e)s, provoque un ralentissement de leurs activités économiques. Ce qui, si on s’en tient à cette logique, débouchera à une réduction significative de la vitesse de circulation de la monnaie.
Pour conclure,
Cette tendance, au préalable “banale”, a toute son importance. Notre étude révèle bien que bon nombre d’agents économiques enquêtés ont clairement expliqué leur réticence à utiliser la petite coupure d’une gourde, 57% de ce même échantillon plaident pour le non-retrait de cette monnaie sur le marché. À croire qu’ils ont beaucoup plus de reproches à faire aux autorités concernées pour n’avoir appliqué aucune mesure corrective face à cette situation que la pièce, elle-même. En effet, bien que ce phénomène soit existant depuis quelques mois, jusqu’ici nous n’avons constaté aucune réaction de la Banque De la République d’Haïti (BRH). En sa qualité de banque des banques, elle est l’instance capable d’éduquer et de sensibiliser les citoyens de l’impact significatif des pièces métalliques dans une économie. Ou décidera-t-elle au contraire de retirer ces pièces sur le marché dans son souci de dématérialisation progressive de la monnaie à l’instar de certaines économies modernes?
Quoiqu’il en soit, une décision de la Banque Centrale s’impose!
Lire notre rapport
[1] Données issues du comité de politique monétaire de la Banque de la République d’Haïti.
[2] Sophia Brana est professeur en sciences économiques l’Université Montesquieu Bordeaux Iv en France.
[3] Monnaie, Banque et Société, Michel Cazals et Pascal Kauffmann,France,Paris,Dunod, 2016, 5e édition, pp.4
[4] Approche analytique du rôle de la monnaie dans la détermination du niveau des prix en Haïti, travail de mémoire présenté par Prédelus Vincent à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques de Port-au-Prince.