Pauvreté, inégalité, chômage, sont parmi les calamités que connaît le pays depuis des décennies. Face à ces situations, l’État, à travers ses gouvernements, a dû maintenir une subvention du carburant à la pompe depuis 2010. Cette décision a longtemps été jugée irréversible, car à chaque décision émanant du gouvernement d’éliminer ou de réduire la subvention, la rue s’enflamme et il s’est vu dans l’obligation de faire marche arrière quoique, légalement, la loi du 10 mars 1995 permette à l’Etat d’ajuster à la hausse ou la baisse le prix à la pompe suite à toute fluctuation dépassant 5% sur le marché international. Les objectifs des subventions à l’énergie sont divers car ce sont des instruments utilisés par les gouvernements pour atteindre des objectifs politiques, sociaux et environnementaux tels que l’indépendance énergétique, l’équité sociale, la protection de l’environnement et du climat. Compte tenu du fait que ce sujet maintient le débat public animé depuis les événements du 6-7 juillet 2018, il est primordial de se poser les questions suivantes : Comment la subvention évolue-t-elle pendant les dernières années ? Pourquoi les gouvernements haïtiens ont toujours du mal à appliquer pleinement les dispositions de la loi relative au prix du carburant? Répondre à ces questions revient à définir d’abord la notion de subvention et voir comment les autorités ont pu supporter cette dite subvention jusqu’à l’adoption de la loi de mars 1995 face aux problèmes de devises. Enfin, nous verrons qu’en raison de la portée politique de la subvention qu’aucune administration n’arrive pas à appliquer à la lettre la loi, peu importe l’argument avancé.
Ce que c’est la subvention énergétique.
Se référant à l’OCDE (Donohue, 1998), la subvention se définit comme toute mesure conduisant à garder les prix pour les consommateurs en dessous de leurs coûts de production, ou pour les producteurs au-dessus du niveau de marché ou encore qui réduit les coûts pour les deux. Cette subvention peut prendre plusieurs formes. Dans notre cas, il s’agit de financement direct, car les autorités versent directement aux importateurs la contrepartie afin de maintenir le prix à la pompe inchangé.
Haïti n’est pas l’unique pays au monde qui subventionne le prix du carburant à la pompe. Ceci est bien l’œuvre de la majorité des pays en développement pour corriger les effets de la pauvreté et promouvoir le développement économique et social en permettant l’accès à l’énergie à des prix abordables. Quant aux pays riches, ils prennent surtout des mesures qui soutiennent l’offre des énergies. Selon un rapport du FMI en 2019, on a constaté que 6.3% du PNB mondial allouait 5.2 trillions de dollars aux subventions des énergies. A noter que le pétrole est subventionné jusqu’à 41% par les Etats.
Il y a plusieurs façons de déterminer le niveau de subvention aux consommateurs en Haïti, il s’agit de la méthode du Price gap. Cette méthode repose sur les différences de prix des différentes énergies entre ce que serait un prix qui émanerait d’un jeu normal du marché et le prix observé. L’objectif consiste à comparer les prix au consommateur final, soit au prix international auquel on ajoute les coûts de transformation et de transport interne, soit à un prix de référence qui correspondrait au total de la chaîne de coûts. Pour ce faire, des choix s’imposent.
Engagement de la BRH à s’approvisionner le marché
Depuis 1982, la BRH a pris l’engagement de régler les factures pétrolières. D’abord elle a puisé dans ses réserves de changes. En 1984, en raison de la baisse des réserves suite aux crises des changes qui frappaient toutes les économies en développement, la Banque de la république d’Haïti a dû imposer 50% des revenus tirés des exportations aux importations des produits pétroliers. Cette mesure survivra jusqu’en 1988 car les crises socio-politiques ont lourdement affecté la production nationale et, de fait, les revenus sur les exportations. A partir de cette période, la BRH passe à d’autres sources de financement, tels que les emprunts, les revenus du TELECO… mais ces fonds ne lui permettent de régler constamment tous ses paiements. C’est pourquoi, pour avoir eu des arriérés pour les compagnies pétrolières, la BRH fut contrainte de signer avec elles un accord qui entrait en vigueur le 31 octobre 1990, lui engageant à leur payer la somme de 1.4 millions de dollars pendant six mois, à partir des revenus en devises disponibles à la TELECO. Puisque le manque de devises persistait, la BRH a dû acheter 1.5 millions de dollars auprès des banques commerciales au taux de 67% afin d’alimenter le marché en décembre 1990. Suite à l’épuisement de toutes ses stratégies, de février 1991 jusqu’à la période de l’embargo (1992-1994), le pays avait du mal à s’approvisionner jusqu’à des périodes de rareté avérées.
De la loi du 10 mars 1995 à nos jours.
Pour pallier à ce problème, les autorités ont adopté en mars 1995 une loi qui permettra à l’Etat d’intervenir plus aisément dans la structure des prix de la gazoline, du gasoil et du kérosène, car le prix du pétrole sur le marché international connaissait de très grandes fluctuations à la hausse ajoutées à la situation chaotique des finances publiques. En son article 3, elle permet à l’Etat de réajuster chaque arrivage pour tenir compte des variations des prix susceptibles d’occasionner une augmentation ou une diminution du prix à la pompe, dans une proportion supérieure à 5%. Mais il faut attendre le 1er janvier 2003 pour assister à la première application de cette loi portant sur l’ajustement des prix de carburant. Cette loi allait être mise de côté en février 2010 après le séisme. Pendant cette période (2003-2010) cent quatorze (114) ajustements ont eu lieu.
Soit Sept (7) ans plus tard, suite au séisme du 12 janvier 2010, plus précisément en février, les autorités ont commencé à subventionner le carburant à nouveau pour tous les utilisateurs. Cette décision révèle des objectifs politiques, économiques et sociaux. En dépit de ces derniers, l’État aurait perdu non seulement les taxes sur produits pétroliers mais également il doit rembourser aux compagnies la contrepartie non couverte par les taxes non prélevées. Et c’est bien la somme de ces deux pertes qui constituent l’intégralité de la subvention.
Selon le ministère de l’Economie et des finances (MEF), de mars 2010 à septembre 2018, la subvention s’élève à 57 milliards de gourdes et a atteint, pour l’exercice 2017-2018, la somme de 17 milliards de gourdes. Ces 17 milliards de subventions dépassent largement le montant alloué aux ministères de l’agriculture, de la santé (soit trois (3) fois plus).
Dans la recherche d’un issu consensuel, le titulaire du MEF a demandé aux secteurs de la vie nationale en général, le secteur universitaire et des affaires en particulier d’étudier le meilleur moyen de se passer de ce lourd fardeau qui pèse sur les finances publiques. De 2019 à 2021 quatre milliards deux cents trente-deux millions cent soixante-neuf milles neuf cent dix-sept (4 232 169 917,9) gourdes représentent la contrepartie versée aux compagnies quand les taxes non-prélevées ne permettent pas de maintenir le prix inchangé à la pompe. Car si on prend seulement l’exercice de 2020-2021, la subvention (taxes non-prélevées et versement direct) s’élève jusqu’à 30 milliards de gourdes en raison de la dépréciation de la gourde. D’ailleurs, la subvention devient de plus en plus lourde en raison de l’augmentation des véhicules qui double tous les sept (7) ans. Les phénomènes de gallons jaunes dus aux pénuries de moyens pour les commandes sont une manifestation flagrante de l’insupportable fardeau de la subvention
Fort de ce constat, le gouvernement d’ARIEL Henry a commencé par réduire et jusqu’à éliminer progressivement la subvention sur les produits pétroliers et a fait plus que tripler les prix à la pompe depuis son arrivée au pouvoir.
Divergence des points de vue…
Ce que réclament les pro-subventions.
Suite à la dernière annonce du retrait de la subvention faite par le premier ministre en date du 7 octobre 2022, des avant-gardistes l’ont mis en garde contre toute tentative de hausse des prix du carburant. Une grande partie de la population du pays a utilisé depuis plus de trois (3) semaines tous les moyens pour exprimer leur colère et demande, par la même occasion, la démission des membres du gouvernement suite à cette décision impopulaire, a l’instar du gouvernement de Jacques Guy LAFONTANT en 2018. La justification des initiateurs du mouvement ‘’BWA-KALE ‘’ se base sur le fait que :
- Plus de 58,5% de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté.
- La forte dépréciation continue que connaît la monnaie nationale ne cesse de plonger la société vers une situation chaotique. Avec un taux de change dépassant la barre de cent-vingt (120) gourdes pour un dollar sur le marché officiel, et environ cent-cinquante (150) gourdes dans le secteur informel.
- Le manque d’assistance du gouvernement
- Des scandales de corruption, d’alliance aux groupes armés qui sèment la terreur dans le pays.
- La trahison de certains membres du parti politique du Secteur Democratique Populaire (SDP). opposants farouches du dernier chef de l’Etat et du régime de PHTK. En 2018, ces membres furent très hostiles face à la hausse des prix du carburant et étaient à la tête de multiples insurrections populaires. Aujourd’hui, alliés du gouvernement en place, ces leaders politiques appuient les mêmes pratiques tantôt dénoncées avec ferveur alors que la situation macroéconomique du pays a empiré.
De toutes ces évidences, ils ont jugé que le retrait de la subvention constitue le retrait de la seule source concrète de l’avantage des plus démunis de l’Etat et que ce gouvernement n’est pas légitime à prendre une telle mesure, ajoutés aux promesses non-tenues suite aux premiers ajustements. C’est pourquoi ils réclament non seulement au gouvernement de surseoir à cette décision, mais aussi le départ du Premier ministre ARIEL Henry sans délai.
Justification du gouvernement
Vu le montant de la subvention qui ne cesse d’augmenter de jour en jour (environ trente (30) milliards pour l’exercice précédent sur les 96 milliards collectés) et qui pèse lourdement sur les finances publiques alors que l’économie haïtienne connaît trois années consécutives de croissance négative, L’Etat Haïtien et ses partenaires ont jugé que le retrait de la subvention serait la décision idéale pouvant permettre à l’Etat de se ressourcer face à ses problèmes de liquidités.
Selon une étude réalisée en 2018 conjointement par la banque mondiale et du ministère de l’économie et des finances rapportée par Le Nouvelliste, les données révèlent que 20% des plus riches consomment 93% de la gazoline et du diesel. Il en ressort que, pour l’exercice 2017-2018, une subvention de 14,5 milliards de gourdes va à 20% de la population et une subvention de 14 milliards seulement va à 80% de la population, pour ces deux produits. Les classes défavorisées ne bénéficient que des effets indirects. En plus, selon un rapport de la banque mondiale en 2021, 20% des plus riches détiennent plus de 64% de la richesse totale du pays alors que 20% des plus pauvres détiennent moins de 1%.
Selon un rapport de la banque mondiale en 2021, 20% des plus riches détiennent plus de 64% de la richesse totale du pays alors que 20% des plus pauvres détiennent moins de 1%.
Vu que les données prouvent que les personnes les plus nécessiteuses ne sont pas les premières bénéficiaires de la subvention, alors le Fonds Monétaire International fait injonction au gouvernement de faire le retrait de la subvention s’il veut qu’on lui fournisse une assistance financière dans l’exécution du budget.
Ces raisons ont poussé le gouvernement à repenser les modalités et à redéfinir l’orientation de la subvention pour mieux toucher les plus nécessiteux. Ce dernier promet de renforcer les forces de l’ordre, de construire des infrastructures modernes, assistances sociales et de mieux traiter les employés de l’Etat…
Depuis que la subvention a été reconduit en 2010, elle est devenue un outil de combat politique. Nos politiciens n’ont pas gardé constamment leur point de vue, une fois accédé au pouvoir. L’homme aux abords du pouvoir n’est pas l’homme au pouvoir, dit-on. Jovenel MOISE, lors de sa campagne électorale a jugé de criminel tout gouvernement qui augmente le prix du carburant à la pompe. Arrivé au pouvoir en 2017, un an plus tard, soit le 6 juillet 2018, sous la demande du Fonds Monétaire International (FMI), il a dû augmenter de 36 à 38% les prix à la pompe. On se rappelle des membres de l’opposition à l’époque qui ont tout prouvé pour justifier le caractère inhumain d’une telle décision. Aujourd’hui, ces mêmes défenseurs du peuple sont au pouvoir et ils sont tous d’accord avec la décision du retrait de la subvention.
Un texte de Richelor POLYNICE
- Conseil Présidentiel : Entre l’urgence sécuritaire et le redressement économique
- L’économie de la connaissance et crise actuelle, échange du professeur Frédéric Gérald Chery avec les étudiants.
- Hausse des prix des produits alimentaires : le calvaire des commerçants haïtiens.
- ON VA TOUS MOURIR…
- Entre arnaque et argent facile : CQR
Références bibliographiques
Ouvrages et rapport
- Centre international de recherche
- sur l’environnement et le développement (CIRD). (2010). Les subventions à l’énergie dans le monde : Leur ampleur, leur efficacité et leur nécessaire recentrage sous la direction de Dominique FINON, Directeur de Recherche CNRS, CIRED Rapport au Conseil Français de l’Energie présenté au Conseil Scientifique du CFE le 19 octobre 2010
- Donohue, Michael (2008), Environmentally Harmful Subsidies in the Transport Sector, OECD Document No. ENV/EPOC/WPNEP/T (2007)1/FINAL, OECD, Paris.
Webographie
- Alter presse. (2021). Economie : des économies et syndicalistes désapprouvent une éventuelle augmentation des prix du carburant en Haïti. [en ligne] www.alterpresse.org. Consulté le 6 octobre 2022. https://www.alterpresse.org/spip.php?article27739.
- Banque mondiale. (2022). Haïti présentation. [En ligne] consulté le 08 octobre 2022. https://www.banquemondiale.org/fr/country/haiti/overview#3.
- Gérard junior JEANTY. (2021). Comment le gouvernement va-t-il s’y prendre pour en finir avec la subvention ?. [en line] www.lenouvelliste.com. Consulté le 1er octobre 2022. https://www.google.com/amp/s/lenouvelliste.com/article/232867/comment-le-gouvernement-va-t-il-sy-prendre-pour-en-finir-avec-la-subvention/amp.
- La loi de ma bouche. (2019). A propos de la subvention des prix pompe. [En ligne]. www.laloidemabouche.ht. Consulté le 6 octobre 2022. https://laloidemabouche.ht/2019/09/14/a-propos-de-la-subvention-des-prix-a-la-pompe/
- Ledevoir. (2018). Le FMI suggère une suppression progressive des subventions sur les carburant en Haïti. [en ligne] www.ledevoir.com consulté le 5 octobre 2022. https://www.ledevoir.com/monde/ameriques/532259/haiti-le-fmi-suggere-une-suppression-progressive-des-subventions-sur-les-carburants.
- Patrick SAINT-PRÉ. (2019). Subvention des produits pétroliers : l’Etat hattien cherche des idées auprès d’autres secteurs. [en ligne] www.lenouvelliste.com. Consulté le 29 septembre 2022. https://www.google.com/amp/s/lenouvelliste.com/article/197255/subvention-des-produits-petroliers-letat-haitien-cherche-des-idees-aupres-dautres-secteurs/amp.
Très Beau texte
Bon bagay!