Évolution du niveau du financement monétaire de la Banque de la République d’Haïti (2015-2022)

Une idée sur le financement monétaire.

Le financement monétaire est un mécanisme utilisé par les pouvoirs publics les permettant de financer leurs dépenses courantes. Appelé également monétisation de la dette publique ou couramment la « Planche à billets », elle est une pratique consistant pour la banque centrale, à financer le budget de l’État. Le « Seigneuriage » est un terme qui désigne les recettes recueillies par l’État par émission monétaire, cet outil conférait un droit au Seigneur du Moyen-Âge de monopole de l’émission monétaire sur leurs fiefs. Aujourd’hui, ce même monopole est devenu une source importante de revenus pour les autorités publiques. Étant considéré comme une source de revenu potentielle pour l’État, l’émission monétaire s’avère être le moyen de financement le plus sûr que les autorités politiques détiennent pour faire face au déficit budgétaire lorsqu’ elles sont dans l’impossibilité d’augmenter les impôts et les taxes, ou à contracter une dette.

Il est vrai que la création monétaire est l’arme la plus défensive en déficit budgétaire, mais aussi un mauvais remède. En effet, cette solution qui est expressément rapide dans les soins palliatifs du déficit budgétaire, a pour effet direct l’inflation et la perte du pouvoir d’achat des ménages. A titre d’exemple, le cas d’hyperinflation de l’Allemagne en 1920 après la Première Guerre Mondiale, le Japon en 1932 et le Zaïre en 1980.

Généralement, le pouvoir public n’a pas que ce mécanisme pouvant lui permettre de financer ses dépenses, et l’État peut le faire de trois manières différentes : 1) En procurant des recettes par l’impôt et les taxes 2) En contractant une dette 3) En créant de la monnaie par la vente des bons du trésor et en émettant de la monnaie. Cette dernière est beaucoup plus répandue dans les pays en voie de développement et les pays pauvres où les autorités monétaires sont dépendantes.

Dans le cadre de cet article, l’accent sera mis sur l’émission monétaire, par laquelle le gouvernement haïtien finance les déficits budgétaires à travers la banque centrale haïtienne. Notre analyse s’articule autour de deux axes : 1-L’impact du financement par l’émission monétaire sur les variables macroéconomiques et la dette publique 2- L’analyse des montants de financement monétaire effectivement décaissés pour compenser les déficits budgétaires tout en les comparant avec le niveau général des prix, pour la période de 2015 à 2022.

Effets du financement monétaire sur les variables macroéconomiques. 

Au regard de la théorie économique, le financement monétaire n’est pas sans issue. C’est une pratique qui est presque bannie, et même formellement interdite pour son implication dans les pays développés où les banques centrales détiennent encore une certaine dépendance vis-à-vis des autorités publiques. Par ailleurs, cet outil existe bel et bien dans les PVD et dans les pays pauvres. C’est un bon soulagement, mais un mauvais remède pour la santé de l’économie. Assez souvent ce mécanisme survient tout de suite après un déficit budgétaire, qui est une situation dans laquelle les recettes fiscales sont inférieures aux dépenses publiques. Par conséquent, lorsque l’État fait face à un déficit budgétaire et que sa politique fiscale se révèle difficile, ajoutée à une situation dans laquelle les dons et les aides internationales ne sont pas au rendez-vous, les autorités publiques sont dans l’obligation de recourir auprès de la banque centrale pour répondre à leur besoin de financement. Malheureusement, la création monétaire a pour corollaire l’inflation. Ce procédé qui est loin d’être la vraie solution, n’est pas sans effet sur les variables macroéconomiques comme : le niveau des prix, le PIB pour ne citer que cela. Une planche à billet de la banque centrale entraînerait une inflation galopante. Par une augmentation de la masse monétaire, la demande des biens et services s’accroît et puisque la production n’est pas au rendez-vous, les prix vont à la hausse, les ménages seront en difficultés financières à cause d’une perte du pouvoir d’achat et d’une dépréciation de la monnaie nationale.

De plus, cela pourrait occasionner des troubles sociaux, les organisations syndicales peuvent opter pour une augmentation du salaire, ce qui tend à faire baisser la demande de travail des entreprises et faire augmenter du même coup le taux de chômage, et entraîner une baisse de la production. Cependant, la conséquence directe du financement monétaire (inflation) pourrait s’avérer un atout très bénéfique pour l’État, puisque celle-ci pourrait réduire la valeur réelle de la dette publique. Un État dont le niveau de son endettement est élevé, en tant que débiteur, serait tenté de susciter délibérément l’inflation, afin de réduire le niveau de son engagement envers ses créanciers. Toutefois, la création monétaire est quasi bannie, et même interdite dans quelques pays développés, en raison du fait qu’elle entraîne l’hyperinflation. Dans notre cas, cette pratique a été abandonnée  sous le gouvernement de transition de Marc L. Bazin en 1992, mais elle fait de nouveau son apparition sous  l’administration du président Martelly en 2014. 

Les montants de financement de la BRH : 2015- 2022.

Au cours de l’exercice 2014-2015, le financement s’est chiffré à un montant de 9 998,7 MG, suite à un déficit budgétaire de de 17167,3MG. Cette situation financière a été caractérisée par un ralentissement des activités économiques réduisant les possibilités d’augmenter des recettes publiques et une baisse de l’appui budgétaire. Ce montant de financement a contribué à nourrir les anticipations sur les tensions inflationnistes dans l’économie. En effet, le taux d’inflation a plus que doublé en 2015, soit 11,30% en glissement annuel, au mois de septembre 2015 contre 5,3% en septembre 2014. C’est la première fois que l’économie haïtienne connaissait  un niveau d’inflation à deux chiffres depuis 2011. 

Pour l’exercice 2015-2016, le pays a connu un déficit budgétaire de 14 843,7 MG. Coïncidé avec une situation de faiblesse de la production nationale, la monétisation du déficit alimentait la demande de biens et de services dans l’économie et contribuait aux tensions inflationnistes. En effet, de 11,7% en octobre 2015, le taux d’inflation se chiffrait  à 12,5% en septembre 2016, atteignant jusqu’ à 15,20% et 15,10% pour les mois d’Avril et Mai 2016. 

En 2017, au cours du deuxième trimestre, les recettes collectées ont augmenté par rapport au premier trimestre. Sous l’effet du cash management, les dépenses publiques ont baissé, favorisant une réduction du déficit budgétaire. Cette amélioration s’est traduite par une diminution du financement monétaire. Le financement s’est chiffré à 1,5 milliards de gourdes contre 2,4 milliards en Mars 2017. Au quatrième trimestre, le rythme de pression de l’inflation et de l’indice des prix à la consommation (IPC) a ralenti, par rapport précédent. Le taux d’inflation annuel est passé de 15,8% à 15,6% en Août 2017. Par ailleurs, les prévisions de la BRH prévoyaient une baisse de 14,5% pour le mois de Novembre 2017.

En ce qui concerne l’exercice 2017-2018, plus précisément au dernier trimestre, le financement monétaire a progressé, à la suite de troubles socio- économiques de juillet (6,7,8 juillet 2018). La hausse des dépenses publiques et les difficultés fiscales rencontrées, conduisent un financement monétaire à hauteur de 18 860,98 MG en septembre contre 9 666,69 MG le trimestre passé. C’est ainsi que l’inflation s’est chiffrée à 14,5% en Août contre 13% en juin.

Pour l’année fiscale 2019, les recettes publiques se situent en deçà de celles qui ont été prévues dans le budget 2017-2018 reconduit. Ce qui a provoqué un financement monétaire de 9,2 milliards de gourdes pour cet exercice. Ce qui représentait 37,4% de celui enregistré un an plus tôt. Cela résulte d’un pacte de gouvernance économique et financière signé entre le MEF et la BRH au début de l’année 2019. Pour ce qui concerne l’exercice fiscal 2020, le niveau de financement a été relativement important, ce qui a occasionné une flambée inflationniste dans l’économie. En effet, le taux d’inflation est passé de 19,5 % en Août à 25,7% en juillet 2020. Par ailleurs, d’autres facteurs comme : la dépréciation de la gourde, la situation sécuritaire affectant le climat des affaires, des problèmes économiques liés à la  COVID-19, peuvent expliquer cette montée vertigineuse de l’inflation. En outre, au quatrième trimestre de l’exercice 2020-2021, le pays a connu un déficit budgétaire de 60958,5 MG, financé par la BRH à hauteur de 49 222,72 MG au 30 septembre 2021. Ce montant a dépassé celui (41 099,13 MG) enregistré le trimestre passé ainsi que le montant fixé dans le pacte de gouvernance économique et financière signé entre le MEF et BRH en 2019. Mené dans un contexte difficile où le pays fait face aux dégâts catastrophiques provoqués par le séisme du 14 Août 2021 dans le grand Sud et une situation socio-économique affectant les circuits commerciaux. Ceci aurait pu conduire  à une poussée inflationniste sans l’intervention de la BRH à travers sa  politique monétaire qui a provoqué  la reprise de liquidité oisive dans le système bancaire à travers les bons et les interventions sur le marché des changes. Ainsi, plus de 2,5 milliards de gourdes ont été asséchées dans l’économie. Ce qui a permis à la BRH d’atténuer les pressions inflationnistes. 

Enfin, au cours du troisième trimestre de l’exercice 2021-2022, les recettes perçues par l’Etat haïtien ont baissé de 14,43%, ce qui occasi risque d’occasionner un déficit budgétaire de 30 616,7 MG en juin 2022 contre 15 844,20 MG en Mars. Par ailleurs, la faiblesse de la production nationale combinée à la hausse des produits importés amplifie déjà les pressions inflationnistes. De mars 2022 à mai 2022, l’inflation passe de 25,7% à 27,8%. Face à une importante accentuation sur le financement monétaire, la BRH visait à mitiger les impacts sur la stabilité macroéconomique. Elle a donc poursuivi sa politique monétaire de reprise de liquidité.

En somme…

A la lumière de la théorie économique, l’impact du financement monétaire est néfaste pour la santé de l’économie. Pour pallier ce problème, l’État devrait mettre de l’ordre dans sa finance publique, réduire son train de vie, essayer d’élargir son assiette fiscale et combattre la corruption. 

Un article de Nicodeme COLLOT pour Eco-Detay

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Bibliographie

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Note-politique monétaire de la BRH, Avril- septembre 2020.

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